Kaya : Capital des métiers du cuir, les artisans vivent leurs survies
La ville de Kaya, baptisée la cité du Cuir et des brochettes au Kura-Kura , est une ville en plein essor depuis les festivités du 11-Décembre 2016. Au regard de la crise sécuritaire que le Burkina vit depuis 2015, la ville de Kaya reçoit plus de déplacés avec 10,6% de personnes déplacées internes (PDI) selon les statistiques de SP/CONASUR publiées le 31 décembre 2022. Cette situation a affecté les activités économiques de la ville notamment dans le secteur de l’artisanat. A quelques jours du Salon international de l’artisanat de Ouagadougou (SIAO), nous sommes allés à la découverte des métiers du cuir de Kaya, les 16 et 17 décembre 2022. Ils nous racontent leurs survies. Mais avant, quel est le processus de travail du cuir ?
Par Madi OUEDRAOGO
La peau à l’état brut
La peau devenu cuir
Il est 16H 15 au quartier Kouim-kouli au secteur 6 de Kaya ce lundi 16 janvier 2023. Nous sommes dans la cité du Cuir et des brochettes au Kura-kura. Après un quart d’heure de circulation nous arrivons au lieu de travail du vieux Rayoudou Hamado Sawadogo, un sexagénaire bien sonné. Dans ce quartier non loti, situé au sud de l’école Kouim-Kouli, se situe la cour du vieux Rayoudou. Nous sommes accueillis par les odeurs nauséabondes des peaux d’animaux. Des tas de noirceur par-ci, par-là, des poils en putréfactions de l’autre côté. Nous inhalons ce parfum malgré tout. Comme nous sommes là pour un reportage, « On fait avec ». C’est ainsi que nous nous encourageons.
Le vieux Rayoudou Hamado Sawadogo, explique le processus du tannage qui est toujours à l’état traditionnel
Processus du tannage : de la peau au cuir
Après les salutations d’usage et l’explication de l’objet de notre présence, le vieux Rayoudou Hamado Sawadogo accepte avec volontiers de s’apprêter à nos questions. Il nous explique le processus de tannage de la peau au cuir en ces termes : « Une fois que les bouchers finissent de dépêcher les animaux qu’ils ont tués, ils nous vendent les peaux. Nous les plongeons dans une quantité d’eau.On y ajoute du carbure, le tout dans le trou à bassine qu’on a aménagé pour la circonstance. On observe pendant au moins deux (2) jours. » Pour l’étape suivante, le vieux ajoute « Nous procédons au tannage. On soustrait la peau de l’eau, on cherche un fagot de bois et un couteau à double manches et on procède au raclage du pelage. » Pour en savoir davantage, nous rejoignons notre deuxième interlocuteur sur les lieux. Il s’appelle Youssouf Sawadogo. Selon ce dernier : « Après avoir raclé les longs poils, on cherche une autre bassine pleine d’eau. On y ajoute une sorte d’herbe appelé en langue mooré « alcafouna » et de la cendre. Cette décoction va rendre la peau très moue et flexible. Ce processus prend aussi deux (2) jours dans le trou à bassine. On la retire pour racler les petits poils restant. »
Un vue des trois trous des 3 étapes du tannage
L’étape de raclage des grands poils
Pour la troisième étape, le vieux Rayoudou nous confis en ces termes : « Après cela, on cherche les fruits d’un arbre sauvage appelé en langue mooré « pengenèga ». Les femmes vont piller pour rendre ça en farine. On cherche aussi la cendre pour y ajouter, le tout dans le trou à bassine. On observe ce processus durant toute une journée avant de laver la peau dans une eau propre et chaude. On l’étale au soleil pour la faire sécher. On a enfin notre peau qui a la couleur blanche.» Sur les lieux, il faut dire que le constat que nous avons fait est que le processus de tannage est toujours à l’étape embryonnaire, à l’état traditionnel. Il n’y a aucun système de modernisation afin d’aider ces artisans à faciliter leur travail. Le vieux nous confie que le processus de tannage est très difficile au regard des conditions dans lesquelles il travaille et les moyens qui sont toujours rudimentaires.
Mohamado Ouédraogo, cordonnier au secteur 1 de Kaya, quartier Louissin
Il est 15H 50 ce mardi 17 janvier 2023 à l’atelier de Mohamado Ouédraogo, l’un des cordonniers de la ville de Kaya, reconnu pour son travail dans l’artisanat du cuir. Cet atelier est situé au secteur 1 de Kaya, au quartier Louinssin, à proximité des rails, non loin du marché de mangue, côté Ouest de la salle polyvalente de Kaya. Comme il était informé de notre arrivée, tout est bien mis en place pour faciliter notre reportage. Une fois à l’intérieur, à droite, nous observons Mohamado qui est aussi devant sa machine à coudre. « C’est une machine spécialement fabriquée pour les besoins du cuir.», nous confie son propriétaire. Au fond, il y’a des étagères où sont classés les articles divers fabriqués à base du cuir. Nous nous intéressons d’abord au collègue de Mohamado Ouédraogo.
Quelques articles fabriqués à base du cuir chez Mohamado Ouédraogo, cordonnier au quartier Loussin
Il s’appelle Harouna Kampo, un sexagénaire bien sonné. Il était habillé en chemise légère, quelques cheveux blancs sur la tête. Il est assis sur une natte où nous observons des cordelettes en forme de ceintures. Nous le tendons notre micro : « Nous sommes des artisans du cuir. C’est un métier comme tout autre. C’est un travail qui consiste à utiliser le cuir pour en fabriquer des articles divers. On coupe le cuir selon des formes géographiques qu’on veut. En fait, notre travail ressemble beaucoup à un travail du couturier tailleur. » Quels sont les articles que le vieux Harouna fabrique dans son atelier ? Il répond en ces termes « Nous fabriquons des sacs, des ceintures, des chapeaux, des portefeuilles, des chaussures et bien d’autres. Il suffit que vous nous disiez la forme que vous voulez et nous on le fabrique. »
En outre, nous nous intéressons à la vente des articles fabriqués à base du cuir. En la matière, le vieux Harouna Kampo réagit « En tout cas pour les prix, ils sont variés. Les sacs en cuir appelés un (1) ou deux (2) soufflets se vendent entre 12 500 à 20 000 FCFA, les ceintures originales à 3 000 FCFA ici dans notre atelier. Mais, c’est sur commande qu’on le fait. Mais dehors, ça dépasse ainsi (Ndlr : village artisanal de Kaya, le Hall des artisans au marché central). »
La crise sécuritaire, l’ennemi du secteur de l’artisanat à Kaya
Pendant que nous tendons notre micro à Mohamado Ouédraogo, l’un des responsables de l’atelier, nous constatons d’autres artisans qui sont venus pour coudre des articles destinés au SIAO 2023, prévu pour le 27 janvier au 5 février 2023 à Ouagadougou. Pour Mohamado : « En tout cas notre travail d’artisan à Kaya souffre dans sa chaire. Au regard du contexte sécuritaire, nous ne pouvons plus faire de bonnes affaires. Il n’y a plus de visiteurs, plus de commande, ni de grossisses. Avant la crise, on pouvait produire 200, 500 ou 1000 articles de toutes formes confondues. On se déplaçait dans les provinces pour former des jeunes et prendre des commandes, mais actuellement non. » Notre interlocuteur se joigne au vieux Harouna Kampo pour implorer au Tout Puissant« Notre prière est que la paix revienne au Burkina. Nous sommes confiants que si la paix revienne, les métiers du cuir vont être le socle du développement de notre province dans la province du Sanmatenga. »
Une vue de la boutique d’articles en cuir chez Abdoul Rasmané Bandé au Village artisanal de Kaya
« Les artisanats souffrent énormément car il n’y a pas une subvention claire dans le secteur. Le système d’octroi de crédit est très lourd en termes de démarches. Ce qui pousse les artisans à rester au bas de l’échelle. Il faut qu’il y’aie une franchise dans ce secteur»
Issaka Ouédraogo, membre de l’association Nakogolb-zanga des artisans du Sanmatenga prêt pour le SIAO 2023
Nous accostons Abdoul Ramané Diandé, un artisan qui est siégé au Village artisanal : « En tout cas, nous sommes tous des artisanats du cuir. Au Village artisanal, nous manquons de visiteurs. Nous savons que c’est en parti dû au contexte. Le marché est morose. » Il tient dans ses deux mains des dizaines d’articles « Nous sommes en train de nous apprêter pour le SIAO à Ouagadougou. », confie-t-il. Pendant ce temps, son collègue Hassane Barry, lui, il apprécie le travail du jeune média en ligne « KAYAINFO » : « Nous vous remercions énormément. Le fait que vous allez rendre notre travail plus visible, nous avons espoir que ça va aller. Comme nous sommes sur les préparatifs du SIAO, il faut réunir tout avant le jour-J. » En échangeant avec nos interlocuteurs, ils n’ont que le seul souhait, le retour de la paix au Faso afin que les autorités puissent pencher véritablement le secteur de l’artisanat à Kaya qui est vraiment abandonné à son sort. « Les artisans souffrent énormément car il n’y a pas une subvention claire dans le secteur. Le système d’octroi de crédit est très lourd en termes de démarches. Ce qui pousse les artisans à rester au bas de l’échelle. Il faut qu’il y’aie une franchise dans ce secteur. »
Fulbert Kiswendsida Yaméogo, Dessinateur au Village artisanal de Kaya, invitant les autorités à soutenir de façon franche les artisans de Kaya
Voici le cri de cœur de Fulbert Kiswendsida Yaméogo, dessinateur sur les produits artisanaux au Village artisanal de Kaya. Il l’exprime en ces termes : « J’invite les autorités à soutenir de façon franche les artisans de Kaya. Ils souffrent dans ce contexte sécuritaire du pays.» Nous interceptons Issaka Ouédraogo, l’un des membres de l’Association Nakogolb-zanga des artisans du Sanmatenga qui invite aussi les autorités à prendre des mesures pour faciliter l’écoulement des articles fabriqués à base du cuir pendant le SIAO 2023 qui arrive dans quelques jours. « Nous y serons et nous pensons pouvoir vendre et rembourser nos crédits car le report du SIAO nous avait créé des ennuis », conclut Issaka Ouédraogo.