Résilience dans le Sanmatenga : Dame nature et ses agrégats, une mine d’or des femmes PDI à Kaya
A la recherche de son pain quotidien, la Femme déplacée interne (FDI) mène son combat d’une manière ou d’une autre pour subvenir à ses besoins fondamentaux, malgré le contexte sécuritaire assez préoccupant au Burkina Faso en général et dans la province du Sanmatenga en particulier, dans la région du Centre-Nord. Pour ce faire, nous avons fait une immersion dans le milieu des femmes déplacées internes de la ville de Kaya en réalisant un reportage sur les activités qu’elles mènent pour subvenir aux besoins élémentaires de leurs familles. Le hic, c’est que cette activité est basée sur la vente des cailloux sauvages, du gravillon et du sable à Kaya chef lieux de la province du Sanmatenga. Dans quelles conditions ces FDI mènent-elles cette activité ? Est-elle bénéfique pour ces dernières ? Quelles sont leurs préoccupations majeures ? Voici autant de questions autour desquelles s’articule notre reportage. Le constat est clair, ces femmes PDI qui, malgré la situation difficile se battent pour l’amélioration de leurs conditions de vie.
Gagner son pain quotidien et subvenir à ses besoins. Voici le slogan de bon nombre de femmes déplacées internes de la ville de Kaya, chef-lieu de la région du Centre-Nord du Burkina Faso en ces temps de crise humanitaire assez préoccupante pour les populations de la région. La vente du sable, des gravillons et des cailloux blancs ou autres agrégats constituent leur mine d’or inépuisable. Il est 5h 55mn dans la matinée de ce mercredi 7 juin 2023 au carrefour de la douane sur la route nationale n°3, l’axe qui mène Kaya-Boulsa, côté Est de la cité du Cuir et des brochettes au Kura-Kura, une ville qui a accueilli de nombreuses personnes déplacées internes au Centre-Nord du Burkina. Nous empruntons la voie bitumée à la sortie vers Pibaoré et nous observons que ces braves FDI ont déjà pris d’assaut les lieux de travail pendant que d’autres marchent à pieds vers une direction inconnue avec leurs dabas, pioches, sacs ou petits seaux. Après quelques minutes de circulation, nous rattrapons un charretier. Il est notre premier interlocuteur. Il s’agit bien d’Adama Ouédraogo, âgé de cinquante ans environ.
‘’ En voyant mes accessoires dans ma charrette, je les considère comme mes armes de combats pour gagner ma vie et s’occuper de ma famille tout comme le soldat tient son arme pour sauver la nation et se protéger. ‘’
Dans sa charrette, on y voit une pelle, une barre à mine, une pique-à-gaz. Accompagné par ses deux garçons, le vieux Adama va de ces pas dans sa « mine d’or » à la recherche du sable, du gravillon et des cailloux blancs situés au pied de la colline, non loin de la route de Pibaoré. Nous lui tendons notre micro pour en savoir davantage sur son activité. Il commence par des mots de taquinerie en ces termes : « Vous allez me payer cher pour m’avoir mis en retard. Je suis prêché d’arriver dans ma mine d’or. (Rire) »
Avant de continuer : « C’est chaud ma fille. La vie est devenue sauve qui peut surtout avec l’insécurité que nous vivons. En voyant mes accessoires dans ma charrette, je les considère comme mes armes de combats pour gagner ma vie et s’occuper de ma famille tout comme le soldat tient son arme pour sauver la nation et se protéger. Je mène cette activité depuis plus de 20 ans. C’est grâce à ce travail que j’arrive à m’occuper de ma famille et inscrire mes enfants à l’école et comme je suis ancien et j’aime mon travail, la clientèle n’est plus une inquiétude pour moi car le travail bien fait n’est jamais perdu. »
Cependant tout n’est pas rose au début de son activité de vente de sable, de gravillons et de cailloux blancs, mais il rend grâce à Dieu. Il nous le confirme dans ce propos : « Au début, cela n’a pas été facile pour moi car j’ai vendu la charrette à 1 000F, mais aujourd’hui la charrette est vendue à 3 500F et je me réjouis pour cela car je peux avoir plus de 3 voyages par jour pour mes clients et cela me permet de rendre ma famille heureuse. » Le vieux Adama a terminé en invitant les jeunes au travail car « seul le travail libère l’Homme. »
Après ces instants d’échanges enrichissants avec notre premier interlocuteur, nous continuons un peu plus loin. Nous sommes toujours sur l’axe Kaya-Pibaoré à quelques 100 m de l’abattoir frigorifique de Kaya. Sur ces lieux communément appelés le « bureau » des FDI, enfants, jeunes et vieilles femmes se côtoient quotidiennement. Chacun se concentre sur son activité de revenue. Pendant que certains ramassent le sable, d’autres par contre creusent, piochent et déterrent les cailloux blancs et gravillons. On croirait être dans un vrai site d’orpaillage artisanale de mine d’or. La poussière se faisait voire à des distances de mètres de là. Malgré cela, nous continuons notre reportage comme si de rien n’était en aspirant la poussière. Mais, très vite, nous prenons des précautions pour ne pas suffoquer.
À peine arrivée sur les lieux, nous constatons un attroupement autour de nous. Tout à coup on entend « ya gulsog la », en langue nationale mooré, c’est-à-dire « c’est pour enregistrer des noms non ». Selon elles, toute personne ayant un sac, un bloc note et stylo en main est là pour les recenser car bon nombre d’entre elles ne reçoivent pas de dons des humanitaires. Là n’est pas l’objet de notre reportage, nous les faisons savoir que nous sommes des journalistes qui viennent vers elles pour connaitre les conditions de leur travail afin d’attirer l’attention à qui de droit de prendre des dispositions idoines pour les aider dans leurs activités rémunératrices de revenues.
A vue d’œil, ces femmes et enfants n’ont pris aucune mesure de protection contre les éventuelles risques liées à cette activité qui consiste à concasser les cailloux avec des marteaux, à creuser le sol pour extraire les gravillons et à ramasser le sable avec des plats simples et des balais. Lorsque nous les voyons, ces femmes n’ont pas de gants ni de cache-nez pour se protéger contre la poussière et les odeurs nauséabondes des ordures. Malgré, le poids de l’âge, il y a des vieilles femmes qui sont dans la danse. C’est le cas de Fati Pafanam, une sexagénaire qui a accepté se confier à notre micro en ces termes : « Nous sommes des déplacées de Barsalgho et nous sommes là il y a trois ans. Nous n’avons bénéficié de don de vivre que deux fois depuis notre arrivée ici à Kaya. Pour ne pas mendier j’ai décidé de mener cette activité de ramassage de sable, de gravillons et autres agrégats avec mes petits-enfants pour éviter qu’ils ne soient des enfants de la rue. »
A en croire la vieille Fati, les FDI qui ramassent le sable, les gravillons et les cailloux sont confrontées à d’énormes difficultés sur le terrain. Très souvent, elles subissent des menaces récurrentes des propriétaires terriens. Car selon ces derniers : « Le fait de ramasser le sable dans le bas-fond l’élargie et l’approfondie et laisse souvent des trous sur le terrain. Malgré les souffrances que nous endurons sur le terrain, le pris des tas du sable varie entre 1 000 et 1 250 F le plein du tricycle et 2 000 F pour le tas de gravillons. »
Aussi, ces femmes sont confrontées à la mévente de leurs agrégats avec leurs clients qui sont en majorité des maçons qui viennent eux même sur place pour s’en approvisionner. Cependant, elles s’en tirent quelques bénéfices : « C’est avec cette activité que j’arrive à payer de quoi manger pour mes petits-enfants et du savon pour qu’ils puissent laver leurs habits afin de se rendre propre pour rester en bonne santé. Nous prions Dieu pour que la paix revienne dans notre pays pour que nous puissions repartir vivre comme avant car c’est difficile pour nous. », soutient la vieille Fati.
Face à cette résilience, en dehors des vieilles femmes, les enfants ayant l’âge d’aller à l’école ne sont pas épargnés. Un peu plus loin, devant nous, un groupe d’enfants est à l’œuvre. Munis de leurs récipients, petits seaux, ils enlèvent le sable dans les fossés le long de la rivière. Nous arrachons quelques mots avec la plus petite du nom de Sadia Sawadogo, âgée de 10 ans qui nous répond : « Je fais le CP1 et je viens aider ma maman pour qu’elle puisse nous payer à manger et ma scolarité car nous sommes des déplacées venues de Barsalgho et c’est ma maman qui se débrouille pour nous. »
Il en est de même pour Illyassa Sebgo, âgé de 12 ans et sa petite sœur, 8 ans, tous non scolarisés par faute de moyens et le contexte sécuritaire difficile du pays. Ils travaillent dans ce bas-fond pour extraire le sable. Nous les rejoignons là-bas pour comprendre davantage ce que font ces enfants. Sans matériels adéquats de protection sanitaire, ces enfants piétinent les déchets et les débris de toute nature dans ces zones insalubres. L’essentiel pour eux, c’est d’aider leurs mamans à ramasser au maximum du sable et pouvoir vendre.
Le petit Illyassa nous le confirme dans notre micro : « Je suis dans ce bas-fond pour aider ma maman afin qu’elle puisse nous trouver de quoi nous nourrir. Nous sommes venus de Silmadji. C’est difficile pour nous mais c’est grâce à cette activité que maman nous soigne et prend en charge la famille. » Pour Illyassa, la charge du tricycle est achetée à 1 000 ou 1 250 F. Cependant, l’arbre ne doit pas cacher forêt : « Souvent, on rentre à la maison les mains vides avec maman car il n’y a pas eu de marché et c’est comme ça qu’on se débrouille avec maman ici. », ajoute-t-il en baissant la tête.
‘’ Je me suis lancée dans cette activité de vente de sable et de gravillons car cette activité me soulage beaucoup, apaise mon cœur et soigne mes soucis’’
Un lieu de refuge pour ces femmes PDI
Nous ressortons du bas-fond et nous apercevons une femme âgée de la quarantaine, à quelques pas devant nous. Assise sous un petit arbre, cette brave dame casse des cailloux sans matériels de protection, pas de gants, ni de cache-nez. Mariam Pafadnam, c’est d’elle qu’il s’agit. Elle est une FDI venue de Barsalgho. A l’en croire, dame Mariam vit à Kaya depuis 3 ans pendant que son mari est à Barsalgho.
Selon Mariam, ce travail est beaucoup bénéfique pour elle et ses enfants : « Je me suis lancée dans cette activité de vente de sable et de gravillons car cette activité me soulage beaucoup, apaise mon cœur et soigne mes soucis (…) Avec cette activité que je mène, j’arrive à m’occuper de mes enfants sur le plan alimentaire et sanitaire malgré que mes agrégats s’achètent à vil prix (Ndlr : le tas de sable est acheté à 1 250F et le tas de gravillons à 2 000F le plein du tricycle). Sur le champ, dame Mariam reçoit un client qui achète un tas de gravillons à 2 000F. Avec cette somme, la journée est gagnée. Elle se réjouie (sourire aux lèvres) car elle aura de quoi payer à manger pour sa famille ce soir.*
Il faut noter que la résilience de ces femmes déplacées internes se diffère d’une famille à l’autre dans la ville de Kaya. Elle se manifeste à plusieurs niveaux. C’est le cas de Salamata Sawadogo, âgée de 40 ans qui s’est confiée à notre micro pour nous expliquer sa situation : « C’est avec cette activité que j’ai pu inscrire un de mes enfants à l’école vu la lenteur du marché. Bien vrai que je peux vendre souvent un à deux tas par jour mais, c’est difficile car c’est le sable qui est le plus acheté et le prix varie entre 1 000 à 1 250F le tas de tricycle. »
Selon elle, cette activité lui permet de venir en aide à son mari afin de prendre en charge les dépenses familiales, car étant des PDI, il est nécessaire que les femmes aussi se battent dans les familles.
Notons que ce qui frappe à l’œil, c’est cet esprit de solidarité, d’entraide et de cohésion qui se manifestent entre ces femmes. Le fait qu’elles s’entendent oblige très souvent les clients qui n’hésitent pas à acheter leurs agrégats. C’est le cas de Kouka Sawadogo qui, à chaque fois vient s’approvisionner avec ces femmes. Pour lui, c’est aussi sa façon en tant que personne déplacée de manifester son aide à ces femmes afin qu’elles puissent avoir quelque chose pour les charges de leurs familles car ils sont tous dans la même situation. De ce fait, ces femmes ne se limitent pas qu’au ramassage de sable. Il y a d’autres variétés d’agrégats dont les cailloux blancs et les gravillons.
Ces cailloux blancs que nous venons de voire avec ces femmes sont en tas de brouette vendu à 1 500F. Sur ce site, Safi Sawadogo mère de quatre enfants, âgée d’une trentaine d’année nous répond en ces termes : « J’ai commencé à faire cette activité il y a trois ans depuis notre arrivée. Bien vrai qu’il n’y a pas de marché mais je me sens mieux en faisant cette activité car j’ai cherché à faire une activité de formation au niveau des ONG en tant que déplacée mais je n’ai pas pu en bénéficier. Je rends grâce à Dieu car avec ce travail, j’arrive à m’occuper de mes enfants sur le plan sanitaire et alimentaire car mon mari est absent. J’apprécie cette activité, même si je parcours 6 à 7 km à la rechercher de ces cailloux blancs. Mon souhait est que la paix revienne au pays pour que nous puissions vaquer à nos préoccupations comme avant. »
Les agrégats de la nature, un site d’or inépuisable pour les FDI à Kaya
Par ailleurs, nous n’avons pas hésité à faire un tour au pied de la colline où des femmes font le ramassage du gravillon leur activité génératrice de revenue. Cette mine est située au secteur 6 de Kaya à quelques mètres du cimetière de Karbadjèlè. Là, Nous apercevons quelques vieilles femmes qui sont à l’œuvre devant nous. Certaines vacillent et d’autres creusent avec des pioches, rassemblent avec des ballais et ramassent avec de petits plats. Nous aiguisons notre curiosité sur leur matériel de travail. Elles nous font savoir que ces objets constituent leur arme de combat à la recherche de leur pain quotidien tout comme le soldat tient son arme.
‘’ C’est avec la vente du sable et des gravillons que j’arrive à acheter mes cubes magies pour ma sauce ‘’
Pour ces femmes, elles sont habituellement en grand nombre sur ce terrain, mais lorsqu’il y a un enterrement au cimetière, elles suspendent pour reprendre le lendemain. Pour en savoir davantage sur ces lieux, nous tendons notre dictaphone à Kadi Sawadogo qui nous répond ainsi : « Je n’ai pas d’autres activités que celle-ci. C’est avec ça que j’arrive à acheter mes cubes magies pour ma sauce. J’ai commencé ce métier il y a un (1) an de cela mais je rends grâce à Dieu car j’arrive à subvenir à mes petits besoins et prendre soin mes enfants et je peux vendre au moins un tas par jour. Mais c’est souvent difficile pour nous car pour en avoir il faut creuser ou balayer et cela prend du temps mais je n’ai pas le choix étant donné que je suis déplacée. » À écouter ces femmes le prix de tas des gravillons est fixé à 2 000F par les acheteurs.
Sur ces lieux, nous accostons Kouka Sawadogo, une sexagénaire qui mène cette activité il y a trois ans de cela. Elle nous répond : « Je me suis lancée dans cette activité pour pouvoir payer mon cola et cajoler mes petits-enfants. Je fais un peu un peu car je n’ai plus assez de force. Je conseille souvent les femmes que j’appelle mes belles-filles pour qu’elles cohabitent ensemble car nous sommes dans la même situation (…). Certes, les habitants ne nous chassent pas mais nous sommes conscients de la dégradation du sol, mais on n’a pas le choix. C’est ici notre mine sinon je n’ai jamais bénéficié de don de vivre durant mes trois ans. En tout cas, je souhaite que le tout puissant donne la force à nos soldats pour qu’on puisse regagner nos villages. »
Comme le dit l’adage « Aides- toi et le Ciel t’aidera ». De ce fait, il faut dire que la question de la résilience économique des FDI se pose avec acuité dans cette partie du Burkina. Même s’il y en a qui font cette activité par plaisir, force est de reconnaitre que d’autres le font par contraintes. Aussi conscientes du contexte du pays et les risques que présentent leur activité de vente de sable, de gravillons et cailloux blancs, ces femmes déplacées n’ont qu’une seule prière, le retour de la paix au Burkina Faso afin qu’elles puissent repartir dans leurs zones d’origine et reprendre leurs activités agricoles.
Rasmata Bébé SAWADOGO KAYAINFO