Résilience économique dans le Sanmatenga :De femmes PDI aux femmes transformatrices de jus locaux 

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Au regard de la crise sécuritaire et humanitaire assez préoccupante au Burkina Faso en général et dans la région du Centre-Nord en particulier, les populations sont face à une réalité économique moins reluisante dans les villes d’accueil. Pendant que certains se battent corps et âme pour trouver leur pitance quotidienne, d’autres par contre s’adonnent à la mendicité ou se bousculent pour les aides. Pour faire face aux conséquences de cette crise, les populations (Ndlr : hôtes et Personnes déplacées internes) ont développé une résilience afin de faire face aux problèmes qui minent leurs quotidiens. Pour ce faire, KAYINFO a réalisé un reportage sur la résilience de ces populations notamment la production des jus locaux transformés à base des produits forestiers non ligneux. Le constat est clair, ces braves femmes déplacées internes donnent l’exemple et forcent l’admiration. Nous sommes allés à leurs rencontres au secteur 4 de Kaya. Reportage !

Une vue partielle du processus de transformation du jus local (jus d’ananas) par les femmes PDI à Kaya

Il est 7h 50, ce samedi 29 avril 2023 dans la cité du Cuir et des brochettes au Kura Kura. Ce soleil levant annonce une résistance des populations qui ont pris leur destin en mains pour ramener la paix dans cette contrée du Burkina Faso. Nous empruntons l’avenue du conseil régional du Centre-Nord à Kaya, une ville martyre qui a défié tous les défis liés aux milliers de personnes déplacées internes (PDI) et aux menaces sécuritaires depuis l’affaire Yirgou en janvier 2019. Après quelques minutes de circulation, nous arrivons à la porte de Pascaline Sombé Sawadogo né Ouédraogo, notre interlocutrice principale dans ce reportage. On l’appelle couramment tantie Pasco pour les intimes. Aussi tôt arrivé, dame Pascaline Sombé nous accueille avec une aire joviale, dans son accoutrement frappé d’un bavoir et un foulard qui recouvre légèrement la tête, le tout accompagné d’une robe de couleur rouge-noire. 

Elle nous fait installé sur des chaises et pendant ce temps les trois (3) autres femmes qui travaillent avec elle s’attèlent à épulser un tas de fruit d’ananas et les deux (2) filles, quant à elles, s’occupent d’autres tâches liées aux nettoyages du matériel de travail et du grand hangar carrelé.  Chez tantie Pasco, chacun à son rôle précis à jouer. Elle utile rigueur et esprit de manager dans son activité. Nous comprenons tout de suite que Pascaline Sombé Sawadogo avait apprêter le nécessaire pour nous attendre. Cette dame, nous allons vous la faire découvrir dans ses multiples tâches. Elle se fait distinguée dans ce milieu de femmes déplacées internes (FDI) dans la cité du cuir et des brochettes au Kura-Kura de Kaya.  

Découvrons son activité de transformatrice de jus

D’un instant à l’autre, nous découvrons son activité agroalimentaire, de transformation de jus et divers produits locaux à base de produits forestiers non ligneux. Tantie Pasco est arrivée à Kaya depuis 2022 (Ndlr : Alors que nous réalisons ce reportage en avril 2023), après plusieurs attaques terroristes de sa ville natale qu’est Barsalgho, une commune rurale située à 45 km au Nord de Kaya dans la province du Sanmatenga, région du Centre-Nord. Avant que notre transformatrice revienne sur les activités qu’elle mène, allons découvrir d’abord la fabrication du jus d’ananas. Pour y arriver selon elle, il faut respecter scrupuleusement les étapes suivantes : « Il faut avant tout épulser les fruits d’ananas, les broyer à la machine à moudre. Une fois que la patte est obtenue, il faut réunir le matériel de travail. Il faut aménager un cadre saint, très propre, l’accoutrement que nous portons doit être propre ainsi que nous même travailleurs et tous ceux qui y interviennent. »

Pascaline Sombé Sawadogo/Ouédraogo, présidente de l’association féminine Nabonswendé, vise à aider les jeunes à se prendre en charge dans ce contexte sécuritaire.

La deuxième étape, c’est la stérilisation ou la pasteurisation des bouteilles à base de l’eau chaude. Pour ce faire, notre transformatrice se sert des plats inox et un foyer à gaz. En même temps les trois autres femmes préparent d’autres plats inox pour ensuite ajouter de l’eau au jus d’ananas et passer au filtrage. « De filtrage en filtrage, on obtient un jus compact que nous déposons sur le foyer à gaz pour faire bouillir le contenu pendant des dizaines de minutes. », explique Pascaline Sombé Sawadogo, transformatrice des produits forestiers non ligneux en jus au secteur 4 de Kaya.

Le processus de stérilisation des bouteilles de 33 cl

Pour la dernier étape, dame Pasco et ses collaboratrices passent au conditionnement du jus d’ananas dans les bouteilles de 33 cl déjà stérilisées à l’avance. Ce travail se fait avec une petite machine appelée « capsuleuse ». Il faut dire que le processus aboutissant à la transformation de l’ananas en jus est très long par rapport aux autres fruits car nous avons assisté cette étape de 8h 15mn à 11h 30mn.

De Femmes PDI à la résilience

Pascaline Sombé Sawadogo née Ouédraogo couramment appelée tantie Pasco, est une femme déplacée interne qui a quitté Barsalgho en 2022 pour s’installer à Kaya. Découvrons là : « Je suis arrivée à Kaya par la force des choses au regard des menaces répétitives des terroristes chez nous à Barsalgho à son temps. Je suis la présidente de l’association féminine Nabonswendé et je suis mère de 4 enfants et nous vivons ici avec mon mari. Je suis née, grandie et mariée à Barsalgho. Quand nous étions là-bas, les choses se passaient bien, avant l’arrivée de l’insécurité. »

 A l’entendre, l’on se rend compte que c’est une femme qui a su conjuguer crise humanitaire et résilience dans toutes ses activités économiques.

Le processus de filtrage du jus d’ananas au siège de la coopérative Nabonswndé à Kaya

En plus de son rôle de présidente de l’association qui s’est agrandie, dame Pascaline et plusieurs femmes déplacées ont créé une coopérative dénommée coopérative Nabonswendé qui est chargée de la promotion et de la commercialisation des différents jus transformés. En rappel, en dehors du jus d’ananas que nous avons assisté pendant la transformation, tantie Pasco et sa coopérative fabriquent aussi des jus de Toeedo (Pain de singe), de tamarin, de bisap, de raisin, de gingembre (yamakou). 

Ce sujet qui porte sur « Femmes PDI et leur résilience dans la ville de Kaya », il faut qu’on en parle. Malgré la morosité de l’économie du Burkina dans ce contexte difficile, Pascaline et ses collaboratrices n’ont jamais mis dans la tête qu’il faut mendier. « Non, nous préférons souffrir dans nos activités que de mendier. Notre dignité est plus que toute autre. », soutient-elle.

En outre, la coopérative Nabonswindé en plus des jus fait la transformation agroalimentaire. Parmi les produits, dame Pasco nous a présenté des biscuits au toeedo, au petit mil simple, au petit mil morenga, au mais, au riz, au sorgho, et bien d’autres produits car la liste est longue.

Comment se fait la livraison des jus ?

Pendant que les trois femmes et les deux filles s’attèlent à l’emballage, Pascaline Sombé Sawadogo/Ouédraogo nous fait goûter le jus d’ananas qui vient d’être transformé fraîchement. Lorsque vous goûter, vous n’imaginez pas que ce jus d’ananas, avec sa saveur naturelle et le sucre bien dosé et ajusté a été transformé sur place à Kaya par ces femmes déplacées internes. A la question de savoir si la coopérative arrive à répondre aux besoins des clients. Dame Pasco répond à l’affirmative : « Voyez-vous, nous venons toute de suite même de conditionner 2 cartons de jus d’ananas. Dans chaque carton il y a 30 bouteilles. Et pour chaque carton, nous le livrons à 7 000 ou 7 500FCFA. La plupart de nos clients sont les restaurateurs, les hôteliers, lors des conférences, les fêtes et cérémonies de baptême et de mariage. »

Cette activité de transformation agroalimentaire à base des produits forestiers non ligneux apporte un plus valu à la vie de ces femmes PDI qui ont refusé de s’adonner à la mendicité. La preuve, dame Pascaline nous fait une confidence : « Le 27 mai 2023, nous avons reçu une commande de jus de tamarin pour 11 carton. Nous avons travaillé dur pendant la nuit pour satisfaire un client qui avait un atelier de formation la veille. » A l’entendre, son activité rapporte beaucoup de gains. (Ndlr : Prenons l’exemple des 11 cartons). Elle a livré chaque carton à 82 500F à raison de 7 500F le carton. Pour confirmer ce que dit notre transformatrice, nous nous sommes déportés pour nous entretenir avec Bibata Kaboré, Directrice de l’Hôtel ZAM à Kaya dans son bureau. Elle nous accueille avec élégance et nous fait assoir avant les échanges. Sur la question des jus transformés localement, dame Bibata répond sans ambages : « Ici à l’hôtel, les clients réclament le jus local. La fréquence de consommation est très élevée. La commande est élevée à chaque fois que nous fournissons nos clients lors des ateliers, des cérémonies de mariages, etc. »

« La commande journalière varie entre 30 à 40 cartons par jours selon la fréquence des activités à l’hôtel »

 Pour elle, ces boissons contiennent beaucoup de nutriments pour la santé comme le précise D. Richard Siéza, nutritionniste à la pédiatrie du Centre hospitalier régional (CHR) de Kaya. (Ndlr : Lire la vidéo 1 : Les bienfaits des boissons locales)

Aussi, Bibaba Kaboré, Directrice de l’Hôtel ZAM a confirmé qu’elle fait ses commandes le plus souvent en partenariat avec Pascaline Sombé Sawadogo/Ouédraogo, présidente de la coopérative Nabonswindé, qui est chargée de la production des jus transformés à base des produits forestiers non ligneux au secteur 4 de Kaya. « La commande journalière varie entre 30 à 40 cartons par jour selon la fréquence des activités à l’hôtel », à en croire la directrice de l’hôtel ZAM.

Bibaba Kaboré, Directrice de l’Hôtel ZAM à Kaya fait des commandes de jus avec Pascaline Sombé Sawadogo

Pour ce faire, notre directrice donne des conseils aux femmes PDI qui ont pris la transformation des jus comme leur activité génératrice de revenus : « Je les encourage car ce n’est pas facile pour ces femmes déplacées qui ont refusé la mendicité et la facilité. Je leur conseille de mettre l’accent sur la qualité et la conservation de ces boissons car comme on le dit avec la chaleur, souvent nos clients se plaignent de la fermentation de ces jus. » Il en est de même pour notre nutritionniste du CHR de Kaya que nous avons rencontré sur la question de la résilience des braves femmes PDI. Il est assisté ce jour par sa collègue Joana Traoré/Dakuyo dans leur service. (Ndlr : lire la vidéo 2 : Le consommons Burkinabè).

Lutte contre le chômage des jeunes

Avant de revenir sur notre entretien avec la League des consommateurs du Burkina (LCB) section du Sanmatenga, nous arrachons quelques mots avec les collaborateurs de Pascaline Sombé Sawadogo. Pour Rokiata Sawadogo, âgée de 30 ans, femme déplacée interne est la trésorière de l’association/Coopérative Nabonwindé. Elle a suivi sa présidente depuis Barsalgho pour se retrouver à Kaya. « Je travaille avec tantie Pasco depuis Barsalgho. Je vis ici avec mes 3 enfants et mon mari, lui, il est resté à Barsalgho. En tout cas avec ce travail j’arrive à m’occuper de ma famille. »

Il en est de même pour Adeline Rouamba, âgée de 40 ans, indique dans notre micro les avantages qu’elle gagne : « C’est vraiment bénéfique pour ma famille. C’est dans cette activité que je m’occupe de ma famille. Je gère la scolarité de mes 5 enfants et d’autres enfants de nos frères qui sont restés à Barsalgho. » Il faut le dire, Pascaline Sombé travaille aussi avec des hommes. Nous interrogeons Sayouba Bamogo, un jeune élève de 20 ans déscolarisé depuis novembre 2022 à Barsalgho. « Après quand j’ai raté mon examen de Baccalauréat, deux fois de suite, tantie Pasco m’a fait appel. J’ai accepté d’intégrer son équipe. Depuis, avec mon petit salaire qui varie entre 30 000 à 40 000FCFA selon le marché, j’arrive à me débrouiller dans la ville de Kaya malgré cette situation. » Pour Sayouba, les jeunes doivent emboiter ses pas et éviter de se faire arnaquer dans leur milieu et surtout d’éviter de rallier les rangs des complices de guerre qui endeuillent les populations.

Voici les conseils pratiques du nutritionniste D. Richard Ziéza, en service à la pédiatrie du CHR de Kaya (Lire la Vidéo  ici)

Sayouba Bamogo, un jeune élève déplacé déscolarisé, travaille avec tantie Pasco

Lorsque nous écoutons notre transformatrice, malgré ce contexte difficile, sa mission est claire, venir en aide aux jeunes : « L’objectif que j’ai visé est d’aider les jeunes dans ce contexte à quitter le chômage surtout mes jeunes sœurs qui sont démunies. Quand des filles et des garçons n’ont pas de travail, c’est notre préoccupation au sein de la coopérative Nabonswindé. Nous leur formons sur les métiers à se prendre en charge et à améliorer leurs conditions de vie en étant déplacés pour éviter les maux tels que le vol, la prostitution et la mendicité. » Selon dame Pascaline, son groupe est au nombre de 10 personnes à Kaya sans oublier que l’association compte depuis Barsalgho plus de 200 adhérents.

Difficultés de ces femmes PDI Malgré les efforts consentis par ces braves femmes PDI de Kaya, des difficultés demeurent dans leur activité rémunératrice de revenus qui est basée sur la transformation des produits forestiers non ligneux. Parmi lesquelles, Pascaline Sombé Sawadogo/Ouédraogo n’a pas hésité à nous les égrener : « Nous n’avons pas assez de matériels de travail. Nous avons abandonné la plupart de nos matériels de travail à Barsalgho. Conséquence, il y a des commandes que nous ne pouvons pas honorer. Nous n’avons pas assez de bouteilles de gaz, pas de tricycle pour le transport des commandes, pas assez de plats inox. Il nous faut un fond de roulement pour nous ravitailler en matières premières qui sont chères dans ce contexte puisque nous ne pouvons plus avoir les produits forestiers non ligneux sur place. Nous les importons à Ouaga ou à Pô. » L’autre difficulté assez importante, c’est que dame Pascaline a loué une cour unique à Kaya (Ndlr : qui fait office de domicile et du siège de son association) qui coute 60 000F par mois. Malgré toutes ces dépenses, cette brave dame PDI fait des petites économies de 25 000F par mois selon le marché.

Augustin Irwaya Ouédraogo, président sortant de la LCB section du Sanmatenga, indique que c’est une opportunité pour ces femmes PDI de booster leurs petites entreprises

En outre, nous sommes allés à la rencontre de la League des consommateurs du Burkina (LCB) section du Sanmatenga dont l’objectif est de protéger le consommateur à travers des sensibilisations sur leurs droits. Pour ce faire, nous avons échangé avec Augustin Irwaya Ouédraogo, président sortant de la section du Sanmatenga qui s’est prononcé sur la question des jus locaux en ces termes : « Nous sommes dans la dynamique de consommons local. Mais, nous nous interrogeons suivent sur la qualité des jus que nous consommons. C’est aussi une opportunité pour ces femmes PDI de booster leurs petites entreprises » Selon notre interlocuteur, ces produits fabriqués sur place doivent permettre ces femmes PDI de booster leur petite entreprise locale si des accompagnements conséquents se font sentir à leur endroit. Il souhaite qu’elles pensent à la labélisation de leurs produits afin d’éviter la contrefaçon.

« Nous leur demandons de nous appuyer en matériels de travail et un fond de roulement. Cela permet à nous femmes PDI de garder notre dignité. »

Voilà pourquoi lorsque nous sommes allés échangés avec D. Richard Siéza, nutritionniste à la pédiatrie du CHR de Kaya, bien qu’étant d’avis avec le « consommons Burkinabè », invite les transformatrices à être très vigilantes pour ne pas créer des problèmes de santé aux consommateurs. (Ndlr : lire la vidéo 4 : Probables dangers liés à la consommation aux jus locaux).

Lorsque nous écoutons ces femmes PDI qui résistent à la situation précaire qu’elles vivent en étant à Kaya, il ressort qu’elles ont besoin d’un soutien de taille dans cette activité de transformatrice agroalimentaire de jus local. Elles invitent par ailleurs les bonnes volontés à les soutenir dans leur élan de résilience économique. « J’invite les autorités et les bonnes volontés à nous aider car nous avons la volonté, mais, c’est dur pour nous. Nous leur demandons de nous appuyer en matériels de travail et un fond de roulement. Cela permet à nous femmes PDI de garder notre dignité. », a fait savoir notre transformatrice. En écoutant ce cri de cœur de Pascaline Sombé Sawadogo, présidente de la coopérative Nabonswindé, si certaines femmes PDI s’adonnent à certaines pratiques malsaines, c’est parce ce qu’elles n’ont aucune activité à faire. Il faut les aider à apprendre un métier générateur de revenus.

Madi OUEDROAGO KAYAINFO

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