Résilience éducative dans le Sanmatenga : Le cri de cœur des EDI des établissements délocalisés à Kaya

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Depuis plus de sept ans le Burkina Faso travers une crise sécuritaire sans précédent. Ce contexte a créé des conséquences désastreuses dans tous les domaines, surtout dans le milieu éducatif. En effet, plusieurs écoles sont fermées laissant les élèves à eux-mêmes. Dans les tentatives de préserver le droit fondamental des enfants, c’est-à-dire le droit à l’éducation, les acteurs ont délocalisé leurs écoles dans la ville de Kaya avec l’accompagnement des parents d’élèves, des partenaires et des bonnes volontés. Pour ce faire, plusieurs centaines d’élèves continuent leurs études dans ces établissements délocalisés. Malheureusement, ils vivent dans des situations de précarités. Malgré ces conditions difficiles, les élèves déplacés internes des établissements que nous avons visités continuent tant bien que mal à suivre les cours avec leurs enseignants. « KAYAINFO » qui fait de l’humanitaire dans ses principes a réalisé un grand reportage dans certains établissements délocalisés à Kaya, province du Sanmatenga, région du Centre-Nord afin de montrer la résilience non seulement des élèves mais aussi de tous les acteurs.(Ndlr : Nous avons choisi de flouter les images au regard du contexte sécuritaire dans la province c’est-à-dire que ces établissements ont quitté Barsalgho et Pissila.)

Une vue de la classe de 4ème en plein cours au CEG de Damané délocalisé au lycée Municipal de Kaya

Il est 10h lorsque nous arrivons dans la cours du lycée des Jeunes filles de Kaya. Ce cadre d’enseignement public est situé au secteur 6 de Kaya, à proximité du collège Sainte Monique, côté Est et à 800m du stade régional de Kaya. Un lycée composé de six bâtiments de salles de classe et d’un bâtiment d’administration. Les rayons du soleil nous font savoir qu’il fera encore plus chaud aujourd’hui ce jeudi 13 avril 2023 où les combattants de l’ignorance sont à pied d’œuvre pour inculquer le savoir aux futurs bâtisseurs du pays. Nous nous dirigeons vers les bâtiments qui accueillent les établissements délocalisés dans ces lieux. Parmi lesquels il y a les Collèges d’Enseignement Général (CEG) de Poullalé, de Touroum, de Taamngo et de Issaogo. Ces établissements sont situés dans la commune rurale de Pissila, une localité située à 30Km sur l’axe Kaya-Dori. Nous commençons notre premier entretien du jour avec Kogbila Élysée Sawadogo, représentant des Directeurs de ces établissements scolaires, par ailleurs Directeur du CEG de Issaogo.

A l’écouter, c’est après les menaces répétitives des groupes armés dans le village de Issaogo et avec l’accord des premiers responsables des enseignements post-primaire et secondaire du Sanmatenga, qu’il a eu l’idée de venir négocier des salles de classes au lycée des jeunes filles de Kaya afin d’assurer la continuité des cours avec ses élèves. Etant donné que son effectif est réduit car beaucoup d’élèves ont fui avec leurs parents, il était dans l’obligation de faire une fusion avec trois autres CEG, notamment celui de Touroum, de Taamngo et Poullalé qui sont aussi dans les mêmes conditions. Il nous explique davantage cette noble idée de sauver l’éducation de ces élèves : « Nous avons 4 établissements qui ont fusionné leurs classes de 6e, 5e, 4e et 3e pour faire un seul établissement que nous avons baptisé le collège de PTTI (Poullalé, Touroum, Taamngo, Issaogo.) logé au lycée des Jeunes filles de Kaya. »Pour lui, cette fusion s’explique par le fait que l’effectif de chaque établissement était très faible parce qu’avec le déplacement, certains ont abandonné et d’autres ont changé d’établissement. Il dit se retrouver avec un total de 165 élèves dont 84 filles et 81 garçons qui est l’effectif des 4 établissements fusionnés.

La délocalisation et le traumatisme des élèves

Nous nous sommes intéressés à la question de leur gestion en période de délocalisation. De façon stoïque, Kogbila Élysée Sawadogo, représentant des directeurs du collège PTTI, nous fait comprendre que c’est une décision courageuse : « On s’est compris avec les parents d’élèves que nous pouvons continuer à assurer l’éducation des enfants dans l’enceinte de cet établissement à Kaya. C’est à vous parents de les héberger et d’assurer leurs rations pour qu’ils puissent continuer leurs études. Mais ici les conditions sont très difficiles parce que les élèves n’ont pas leurs parents à côté. La plupart vivent dans des sites déplacés et la vie de la ville n’est pas simple, tout est payant. »Pour lui, les chefs d’établissements du collège PTTI ont pris leur courage à main pour résister et assurer l’éducation de ces élèves qui n’ont jamais souhaité être délocalisés si n’est la force des choses.

Etre un établissement délocalisé dans ces conditions, ce n’est pas une chose aisée car des difficultés majeures sont lésions notamment le manque de matériels didactiques pour les enseignants. Il confirme cela dans notre micro : « Au début, ce sont les parents d’élèves qui se sont mobilisés pour que nous ayons le minimum de table-bancs et essayer de confectionner des bureaux pour les professeurs pour pouvoir commencer les cours et c’est par la suite que nous avons eu une dotation de tables émanant de la direction provinciale. » Pour ce chef d’établissement, des problèmes existent sur plusieurs niveaux notamment le bureau de l’association des parents d’élèves (APE) qui fonctionne tant bien que mal à distance car les membres ne sont pas sur place à Kaya.

A cause du contexte sécuritaire difficile, les parents d’élèves n’arrivent plus à s’acquitter des frais de scolarité car au regard des déplacements, il n’y a plus assez d’AGR (activités rémunératrices de revenus). Donc, chacun se bat d’abord pour assurer la pitance quotidienne pour sa famille.  Fuyant les attaques armées, les élèves vivent au quotidien le traumatisme dans les classes : « Il y a certains de nos élèves qui ont perdu leurs parents, d’autres ont perdu leurs proches et jusqu’à l’heure où je vous parle il y a toujours des séquelles et les professeurs me font parvenir des échos. » Heureusement, pour ces EDI, des ONG humanitaires volent à leur secours en apportant en cette début d’année scolaire notamment l’UNICEFet Médecins Sans Frontières (MSF) avec un appui en kits scolaires et de prestations gratuites ainsi que la cantine étatique.

Après avoir prié pour la paix, Kogbila Élysée Sawadogo appelle toutes les organisations non gouvernementales, les organisations de la société civile, les autorités éducatives et à toutes les bonnes volontés à agir davantage en faveur de ces EDI dans l’accompagnement financier, alimentaire, sanitaire ou socio-affectif.

Le calvaire des EDI à Kaya

Nous tendons notre micro à Mahamoudou Sawadogo, l’un des professeurs de ces établissements délocalisés, qui enseigne la discipline d’Anglais. Il soutient que dans ces conditions, les élèves et leurs enseignants sont confrontés aux problèmes pédagogiques dont le vacillement des programmes d’enseignements.Dans une situation d’urgence, notre professeur d’Anglais, tout comme son directeur, tire la sonnette d’alarme pour appeler à aider ces élèves et leurs enseignants en matière de traitement socio-psychologique afin de sauver l’avenir des EDI dans ce contexte assez préoccupant. Malgré tout, ces enseignants restent déterminés à transmettre le savoir qu’il faut à ces enfants.

En outre, nous nous approchons des EDI pour en savoir davantage. Et notre première interlocutrice est Denise Ouédraogo, une élève déplacée interne de la classe de 3e au collège PTTI logé au lycée des jeunes filles. Orpheline de père, c’est sa mère qui s’occupe d’elle. Malgré cette délocalisation contraignante, Denise tient à son avenir. Elle nous le fait savoir en ces termes : « À l’école ça va un peu, bien vrai qu’il y a souvent de la moquerie mais on assume. Nous n’avons pas de lampes pour étudier les nuits. Mais, l’école est la voie pour atteindre mon objectif, devenir un docteur en médecine pour secourir toute l’humanité. »Logée avec ses camarades dans une maisonnette en location dans la zone non lotie, Dénise vit le calvaire au quotidien. Cependant, elle demeure stoïque face à ce contexte qu’elle n’a jamais souhaité vivre. A l’en croire, elle risquait sa vie pour repartir à Pissila ville où vivent ces parents déplacés pour chercher du haricot. Le hic c’est que malgré ce contexte, Dénise se bat seule depuis plus de deux mois pour joindre les deux bouts tout comme bon nombre de ses camarades qui résistent dans leurs études.

Pour Koum Sawadogo, camarade de classe de Dénise, elle vit à peu près la même situation. Elle se confie à notre micro que ses parents ne supportent plus le loyer et qu’elle risque d’abandonner ses études. Voici ce qu’elle nous dit : « De la nourriture aux études c’est compliqué. Chaque jour je fais près de 2 km à pied pour venir à l’école. Souvent je viens en retard et surtout en période de la fraîcheur je souffre. Sincèrement j’étudie dans les rues sous les lampadaires lorsque la nuit tombe. »

« Ce n’est pas facile pour nous filles déplacées des zones reculées dans ces grandes villes ou les garçons nous harcellent partout. »

Il en est de même pour Christophe Sawadogo, âgé de 17 ans en classe de 3e qui continue désormais ses études au collège PTTI. Il n’apprécie pas du tout la vie en ville dans ce contexte d’élèves déplacés internes.

A l’écouter, ses camarades en souffrent plus : « Personnellement je remercie Dieu car j’ai un frère inspecteur avec qui je vis et qui me soutient et paie ma scolarité. Je fais mes études dans les écoles de proximité la nuit. La nourriture ça va un peu. Avec l’insécurité qui touche tous les domaines, il est de nos jours très difficile pour mes camarades EDI de trouver un job de weekend. Je me débrouille comme je peux, pour aider certains de ma manière. »

Ainsi, pour faire face à leurs conditions de vie précaire, ces EDI sont contraints de développer des astuces notamment l’entraide entre camarades afin de supporter les charges dans l’alimentation et le loyer. La prière commune de ces EDI de Kaya pendant notre reportage, c’est la sécurisation du Burkina et le retour de leurs parents déplacés dans leurs localités respectives afin qu’ils puissent continuer leurs études. Aussi, il faut doter les professeurs déplacés internes de manuels et de matériels d’enseignement assez conséquent car ils ont tout laissé derrière eux. C’est le même cri de cœur pour Aboubacar Iba en classe de 3ème qui vit la même situation que celle de Christophe.

« Avec l’appui de la Direction provinciale, on a pu avoir des salles »

Nous mettons ensuite le cap sur le collège dénommé Institut Islamique des Sciences Humaines de Kaya (IISHKA), un établissement privé qui est situé sur l’axe Kaya-Pibaoré, non loin de la cité des 38 villas des déplacés au secteur 6 de Kaya et à une centaine de mètres du site des hauts fourneaux de l’association Passaté du Centre-Nord. Dans son sein, nous retrouvons deux grands bâtiments dont l’un héberge les classes du primaire et l’autre des classes du post-primaire. Nous nous approchons du secondaire où nous prenons langue avec Ali Sawadogo, représentant des directeurs, puisqu’il s’agit d’un regroupement de collèges délocalisés dans cet établissement privé. Il est le directeur du collège d’enseignement général de Sambiissi dans la commune rurale de Barsalgho. En rappel, la commune de Barsalgho est située à 45 km de Kaya, côté Nord. Il est notre premier interlocuteur dans ces lieux.

Voici comment Ali Sawadogo nous décrit la situation qui a obligé à délocaliser son établissement à Kaya. Tout a commencé depuis 2021 : « Nous avons commencé à Barsalgho l’année scolaire 2021-2022 et délocalisé ici à Kaya pour pouvoir terminer l’année. Ici c’est un regroupement de 4 établissements à savoir le CEG de Basma ville, Sambiissi, Barsalgho centre et Nontenga. A un certain moment dans cette localité de Barsalgho, les activités pédagogiques étaient menacées et la majorité des élèves ayant replié sur Kaya, il était donc nécessaire de délocaliser nos établissements pour pouvoir assurer la continuité des études de nos élèves. Avec l’appui de la Direction provinciale, on a pu avoir des salles au sein de cet établissement Institut Islamique des Sciences Humaines de Kaya (IISHK) pour continuer les activités pédagogiques. Cette année d’autres établissements sont venus s’ajouter à nous et nous avons quatre niveaux dont la 6ème, la 5ème la 4ème et la 3ème. Nous avons au total 205 élèves dont 135 filles et 70 garçons. » Contrairement à notre premier lieu de reportage, ici nous avons un effectif assez raisonnable qui permet aux enseignants de se sentir un peu dans une situation de classe normale.

Ici, c’est le même constat qui se résume à travers ces mots : « Nos écoles manquent de mobiliers et de didactiques. » Cependant, la différence, c’est que lorsque nous avons interrogé les acteurs, il ressort que des ONG accompagnent ces EDI qui vivent dans des situations assez difficiles, notamment Plan International Burkina Bureau de Kaya qui a doté les élèves en kits scolaires. Mais il faut dire que cet accompagnement n’est pas suffisant car certains EDI s’adonnent aux petits métiers comme le travail de manœuvre, la maçonnerie, la vente des petits articles afin de se prendre en charge, les parents n’étant pas à côté. Malheureusement, cette activité extrascolaire n’est pas sans conséquence car nombreux sont ces EDI notamment filles qui sont tombées enceintes malgré leur vulnérabilité. Cette situation impacte négativement les rendements scolaires de la province car il y’en a qui abandonnent les études, ne pouvant pas supporter et la grossesse et sa situation d’école. Ainsi, c’est l’éducation des enfants en général qui en pâtit.

Des solutions, il le faut … aider les EDI à retrouver le sourire de l’école

Pour remédier à cela, notre cher directeur et ses collègues font de leur mieux pour sensibiliser, remonter le moral des enfants. Mais, à les attendre ce n’est pas suffisant, il faut d’autres alternatives plus efficaces, c’est-à-dire un suivi psychologique pour faciliter encore plus l’insertion social de tous les acteurs et même les enseignants.

Nous sommes toujours dans ces établissements logés à IISKH. Nous nous dirigeons vers les enseignants. Pour Abou Roland Ouédraogo, professeur de français et histoire-géographie, il confirme que ces élèves, de même que leurs enseignants souffrent de cette délocalisation. Il ajoute que son cours est souvent transformé en en séances de leçons de moral et de sensibilisation. Mais, certains aspects les échappent notamment la question de la prise en charge psychologique des EDI dans les classes :« Nous professeurs on se force avec toutes nos capacités mais nous ne maitrisons pas trop le domaine de la psychologie. »

Quant à sa collègue Fatimata Bamogo, professeur qui intervient en Mathématiques et en Sciences de la Vie et de la Terre (SVT), en tant que femme dans ce contexte a perdu les repères. Elle est visiblement dépassée par la situation. A l’entendre, puisse qu’elle enseigne au CEG de Basma délocalisé à Kaya depuis 2021, qui est situé sur l’axe Kaya-Barsalgho. Doté d’un barrage presque intarissable, le village de Basma rayonnait grâce à sa verdure de toutes espèces. Le maraichage était le moteur économique de cette localité. Malheureusement la psychose règne en maître absolu dans les environnants, même si l’on sait que les Forces de Défense et de Sécurité (FDS) et les Volontaires pour la Défense de la Patrie (VDP) font des efforts remarquables de sécurisation. Malgré ces conditions difficiles, cette brave professeure, matériels de travails sous la main gauche et la craie à sa main droite, ne cesse de répéter cette phrase qui leur donne de l’énergie : « C’est une résilience. »

Il faut louer le courage de ces acteurs, qui malgré leurs conditions de travail précaires, ont adhéré à l’effort de guerre lancé le 22 novembre 2022 par le Capitaine Ibrahim Traoré, Chef de l’Etat du Burkina Faso. Selon dame Fatima : « Notre effort de guerre, c’est d’acheter le matériel didactique avec nos salaires, sensibiliser à tout prix, partager la nourriture et le matériel avec ces victimes et sacrifier nos projets et repos pour les rattrapages de cours. »Avant de terminer, elle a imploré le Tout Puissant de ramener rapidement la paix au Faso pour que ces milliers d’enfants qui eurent sans classes retrouvent le sourire de l’école.

Tout comme au lycée des Jeunes filles, notre première escale, nous retrouvons nos chers élèves. Notre premier interlocuteur est une fille qui s’appelle Abzeta Ouédraogo, élève en classe de 4ème. Elle continue ses études à Kaya pendant que ses parents sont des déplacés vivant à Barsalgho. Elle se retrouve à Kaya après que leur CEG est fermé. Donc, la situation l’oblige à étudier à IISHK avec ses camarades. Abzeta résume sa souffrance en ces termes : « La nourriture qui se fait rare, le logement dont les bailleurs nous harcellent, les vêtements que l’on porte pendant plusieurs semaines, ces lampes qui éteignent leurs lumières à la tombé des nuits. Ce n’est pas facile pour nous filles déplacées des zones reculées dans ces grandes villes ou les garçons nous harcellent partout. »Il en est de même pour Balkissa Sawadogo, élève de la classe de 4e de ce CEG de Basma. Elle a trouvé sa propre solution pour n’est pas être la risée des garçons : « Je ramasse les gravillons avec ma mère et mes sœurs. Actuellement, nous avons des difficultés pour nous nourrir malgré ce qu’on fait comme activité. »

Cette situation de vulnérabilité est aussi chez Abdoul Rachid Ouédraogo de la classe de 3ème qui vit en location avec ses camarades lorsqu’il explique son calvaire, notre cœur était meurtri : « Je loge loin de mon école. Je suis malnutri. Je crains pour notre sécurité dans une maisonnette sans clôture. Je fonds des moqueries et injures dû à ma situation d’Elève Déplacé Interne et je ne suis pas le seul. Mes parents n’ont plus leurs champs, leurs commerces sont étouffés, leurs bétails pillés les obligeant désormais à une vie de misère. Pour bosser, je me retrouve dans les rues, devant les grandes boutiques éclairées. » Malgré ses conditions assez difficiles, Abdoul Rachid, connaissant l’importance de l’école, s’encourage et brave les difficultés car selon lui, étant en classe de 3e, il faut qu’il gagne son examen de BEPC session de 2023.

La délocalisation, une perspective pour minimiser les conséquences de la crise sécuritaire

Après IISHK, nous mettons le cap pour un autre établissement qui accueille des établissements délocalisés. Cette fois-ci, nous sommes au lycée municipal de Kaya, un établissement public situé au cœur de la ville, à l’extrême Nord-Est de la mairie de Kaya. Pour ce faire, le premier établissement délocalisé qui nous reçoit est le CEG de Damané. Ce CEG est logé dans ce lycée au cours de l’année scolaire 2022-2023. Une tente de trois classes d’une base bleue fait en bois avec des ouvertures en tôles fait office de l’établissement temporaire. L’on imagine la chaleur torride qui tapent les têtes des enseignants et leurs élèves pendant ce mois d’avril. Des fenêtres ventilées, des portes arrachées, des toits à ombre grillagée de seccos, un tableau mobile, quelques tables bancs coincés, des bureaux sans chaises, tel est l’état des salles de classes dans lesquelles Alphonse Dembèga, directeur de ce CEG de Damané nous reçoit. En rappel, Damané est un village situé à l’extrémité Nord de la ville de Kaya et qui a subi des menaces terroristes de tout genre jusqu’à ce que le village se déguerpisse en direction de Kaya.

Les EDI du CEG de Damané poursuivent leurs cours dans ces classes temporaires logé au lycée municipal de Kaya

Pour lui, cette délocalisation est une perspective pour minimiser les conséquences de la crise qui sévit le pays. C’est ainsi qu’il nous le décrit : « Depuis le mois de septembre, c’était la peur au ventre. Mais, on a tenu jusqu’en début décembre dernier où le dernier village qui faisait face au lycée a été décalé par les attaques terroristes. C’est là que nous avons pris une décision avec les parents d’élèves pour délocaliser d’abord la classe de 3e. De ce point, nous profitons remercier le directeur du CEG de Gaoua qui nous a accueilli immédiatement pour que la classe de 3e n’arrête pas les cours. Grâce à la bienveillance de la hiérarchie nous avons pu bénéficier des tentes au sein du lycée municipal de Kaya. C’est là que nous avons amené les autres niveaux à savoir la 6e, la 5e, la 4 e et la classe de 3e. »

Toute délocalisation est souvent brutale et amer pour les acteurs de l’éducation car selon sieur Alphonse, il y’a énormément des soucis à tous les niveaux : « Il y a des difficultés car nous avons 3 tentes de classe et 4 niveaux, un niveau se repose donc en attendant qu’une autre sorte. Aussi, certains des élèves ont été témoignes de barbaries des scènes qui les ont traumatisées. Ils ont toujours des séquelles qui ne facilitent pas les apprentissages. » Néanmoins, ses acteurs tiennent bon et continuent de se sacrifier pour l’avenir des enfants du Burkina.

Tout comme au lycée des jeunes filles et à IISHK, notre interlocuteur Alphonse Dambèga insiste sur la résilience éducative dans ce contexte sécuritaire difficile :« C’est une résilience et un devoir pour nous de tout œuvrer pour que l’éducation de ces innocents ne soit pas interrompue. Sinon, ils seront des proies faciles pour cette même cause c’est-à-dire le terrorisme et autres mauvaises actes. »

Par ailleurs, il exhorte les parents d’élèves à suivre scrupuleusement les enfants et les élèves en particulier.

« La situation est très préoccupante et nous en portons la charge avec l’accompagnement de certains lycées privés qui acceptent de payer les frais de dossiers de certains élèves jugés plus vulnérables. »

Pour Farida Kiéré/Soré, professeure d’EPS en service au CEG de Damané, ses élèves ont plus besoin de psychologues spécialisés pour les accompagner en soin mental car beaucoup d’entre eux sont traumatisés et n’arrivent pas à suivre les cours en classe. Conséquence, il y’a des élèves qui abandonnent simplement.Quant à son collègueMoussa Diallo, professeur de physique-chimie : « Il faudra, pour résoudre cette situation des établissements délocalisés, que la sécurité puisse revenir rapidement dans les zones déguerpis avant la rentrée 2023-2024 afin de permettre aux acteurs de travailler dans la quiétude. »

Nous nous intéressons maintenant aux élèves de ce collège logé au lycée municipal de Kaya. Nous accostons Benjamin Ouédraogo, un élève de 16 ans en classe de 4e    garde toujours de mauvais souvenirs du déguerpissement de leur village : « Nous n’avons pas eu le temps de prendre nos affaires ou de la nourriture. Néanmoins, moi j’ai pu apporter mon vélo et mes cahiers. »Et sa camarade Rinatou Diandé de la classe de 6eme de remercier le Seigneur qui l’a permis de continuer ses études à Kaya même si les conditions dans lesquelles ils vivent sont précaires.

A les entendre, sauf qu’ils n’ont pas pu évaluer le 1er trimestre, tout se passe bien car les cours continuent tant bien que mal à être assurés par leurs braves enseignants.  Benjamin le fait savoir en ces termes : « J’ai eu 12,76 de moyenne mais nous n’avons pas pu faire le premier trimestre en son temps. » A l’en croire, il faut un retour rapide au bercail pour retrouver la tranquillité d’étudier et de construire son avenir.

Selon Jonathan Ouédraogo, élève en classe de 3e la ville est un cauchemar, une vie de misère car il étudie la nuit avec sa lampe-torche qu’il a payé après trois jours de dur labeur comme apprenti-maçon qu’il a exercé pendant les week-ends. 

Aussi, pour sa camarade Adjara Ouédraogo de la même classe : « Nous sommes cinq dans une maisonnette sans électricité. Nous faisons souvent les vaisselles des gens ou dans les kiosques pour nous départir de la mendicité. »  Mais, elle ne lâche pas prise. Elle n’abandonne pas ses études. Les yeux larmoyants, la gorge tractée, Adjara a sa propre solution même si elle n’est pas certaine :« Je veux seulement retourner chez moi, cultiver mes arachides, payer ce que je désire et continuer mon école. »

Après ces témoignages attendrissants, nous choisissons de nous entretenir avec Rasmané Zabré, président de l’Association des Parents d’Elèves (APE) de ce collège. Le premier signe qui nous indique combien il est difficile pour résister dans ce contexte des EDI, il secoue sa tête, signe de piété et nous lâche un mot : « C’est une grâce de voir que ces élèves ne sont pas restés dans les attaques. Mais, le regret pour ces enfants, c’est de se refugier en ville dans de telles conditions. » A en croire le président APE, ces EDI vivent des conditions assez méprisables (Ndlr : pas où dormir, dorment souvent à jeûne, pas de lumières pour étudier la nuit.) Par ailleurs, ce président APE est confiant que les autorités de la place pourront renverser les tendances et que la paix reviendra. Il invite par ailleurs à une prise de solutions urgentes, sinon ces établissements ne pourront pas s’ouvrir la rentrée prochaine dans ces conditions.

Nous sommes toujours au lycée municipal de Kaya en cette matinée où il fait extrêmement chaud. Notre dernière escale le CEG de Goèma, un collège de la commune rurale de Pissila. Tout comme le CEG de Damané, le CEG de Gouèma s’est finalement fermé les portes pour se retrouver à Kaya comme établissement délocalisé afin préserver le reste l’avenir de ses élèves. Nous découvrons cet établissement avec son premier responsable Inoussa Savadogo, Directeur dudit CEG.

Il nous explique la décision qu’il a prise de concert avec l’APE pour sauver la classe de 3ème : « Seulement, il nous a été permis de délocaliser la classe de 3ème. Actuellement, on essaie de récupérer ce que l’on peut. De 45 élèves nous avons maintenant 32 élèves. Ici chaque parent s’occupe de l’hébergement et la restauration de son enfant et nous nous occupons du coté pédagogique. Nous n’avons plus de matériels didactiques. C’est le lycée hôte qui nous dépanne le plus souvent. Nous sommes laissés à nous même, pas d’accompagnement. Nos élèves en sont les souffrants car ils ont perdu des parents, des proches, ils sont malnutris, mal logés avec des troubles psychologiques, d’autres sont laissé à eux-mêmes. » Pour ce chef d’établissement, il faut que l’Etat prenne ses responsabilités et se penche encore plus sur les EDI pour les mettre dans de bonnes conditions d’apprentissages. 

Cette situation nous amène à nous poser moult questions: quel sort pour les élèves qui n’ont pas bénéficié de la délocalisation si ceux qui en ont bénéficié peinent à suivent les cours ? Ces EDI auront-ils la chance de suivre les cours la rentrée 2023-2024 ? Les autorités du département éducatif sont alors interpelées car l’avenir de ces EDI est entrain de trébucher. Mais en attendant, découvrons le courage de ces élèves qui, malgré ce contexte refusent d’abandonner les bancs.

Notre interlocuteur a 16 ans et est en classe de 3ème au CEG de Goèma, un collège délocalisé au lycée municipal de Kaya. Guelilo Ouédraogo, puisse que c’est de lui qu’il s’agit. Il est un élève déterminé et courageux. Contrairement à d’autres EDI, Guélilo a eu la chance d’être hébergé par son oncle, même si les conditions ne sont pas totalement réunies. Il nous le témoigne en ces termes : « Je vis avec mon oncle et sa femme. Il a la ferme volonté de nous soutenir. Mais, sincèrement nous sommes nombreux dans sa cour. Donc, ses revenues ne lui permettent pas de bien nous couvrir. Souvent la nourriture se fait rare, le problème de santé est là aussi et sa batterie qui alimente la maison nous laisse souvent dans le noir, le plus souvent avant 21H. »

Nombreux sont ces EDI qui s’adonnent aux petits métiers

 Mais Guelilo nous confie qu’il s’efforce. Il mène de temps en temps des petits métiers comme apprenti-maçon pendant les weekends.  Selon ce jeune élève, il se sent encourager par les élèves hôtes et ils murissent des projets communs « devenir des enseignants afin de pouvoir changer les mentalités pour que jamais notre pays ne soit plus confronté à ces genres de barbaries. », soutient-il.Quant à sa camarade Zonabo Sawadogo, elle vit avec sa sœur qui la dépose chaque matin à vélo à l’école. A l’écouter, l’on se rend compte qu’elle n’est pas contente de voir les filles abandonner l’école : « Ma sœur a abandonné tout pour me supporter. »

Et Marie Ouédraogo, une EDI du même CEG de Goèma qui trouve que ce contexte exige qu’elle ne se contente pas seulement du soutien des personnes hôtes, mais, elle exerce une petite activité de commerce : « Bien vrai que les hôtes nous comprennent et nous épaulent souvent. Mais, ce n’est toujours pas simple. Je fais des petits métiers avec des gens de la ville comme vendre les fruits, les légumes ou pousser la charrette d’eau glacée pendant les week-ends. »

Ainsi, nous tendons notre micro à quelques enseignants du collège. Tout comme ses collèges des autres établissements délocalisés à Kaya, Sakinata Zebré/Kabré, professeur de Français/Histoire-Géographie au CEG de Goèma indique également que ses collègues ont les mêmes difficultés pour dispenser les cours dans des classes temporaires avec ces élèves qui n’ont plus l’esprit sur place. Lorsque nous nous sommes approchés de Souleymane Sawadogo, professeur de Français/histoire-Géographie, il a le même avis que sa collègue sur la situation des EDI et proposent qu’en dehors de la seule classe de 3ème qui a été sauvée, il faudra qu’à la rentrée, les autres niveaux puissent rouvrir.

Ce lundi matin, 24 avril, nous enfourchons notre moto à la Direction provinciale des Enseignements Post-primaire et Secondaire (DREPS) du Sanmatenga logé au lycée provincial Moussa Kargougou de Kaya. Avant d’y arriver, nous prenons place dans un kiosque non loin de là, question de prendre un petit tas de thé. Pendant ce temps, des clients se disputent de notre sujet de reportage (la situation des EDI dans la ville de Kaya). Un d’entre eux qui a requis l’anonymat a accepté nous confier son témoignage : « Vraiment les EDI souffrent. J’ai embauché beaucoup d’entre eux sur mes chantiers et lorsqu’ils racontent leur quotidien, ça fait pleurer. Beaucoup n’ont plus de parents, certains sont devenus chefs de grande famille, d’autres même ont piqué la folie à cause des soucis ou des traumatismes. » Ce monsieur va plus loin pour dépeindre le calvaire des EDI de la ville de Kaya. Selon ce monsieur, il y’a même une fille EDI qui est venue chez lui pour négocier pour être apprenti-mâcon afin de subvenir à ses besoins car elle n’a plus que de petites sœurs qui vivent avec elle.

Après ce laps de curiosité au kiosque qui a enrichie notre sujet, nous nous dirigeons à la DPEPS où le premier responsable nous attendait dans son bureau. Il nous reçoit avec une aire de bonheur matinal. Inspecteur Gabriel Sawadogo, Directeur provincial des Enseignements Post-primaire et Secondaire du Sanmatenga, puisse que c’est de lui qu’il s’agit a accepté répondre avec aisance nos questions. Par rapport à l’effectif des EDI de sa province et des statistiques, il dit ne pouvoir pas nous donner un nombre exact (Ndlr : mesures de prudence à cause du contexte), Mais, toujours est-il qu’ils sont nombreux et repartis dans plusieurs sites dans les établissements d’accueil à Kaya. Il nous décrit la situation des EDI qui est vraiment préoccupante en ces termes : « L’occasion nous a permis tout dernièrement de les côtoyer et ils nous ont tenus des discours très peu reluisants. Parmi eux, il y a des chefs de ménage, des mères, des fille-mères, des sans abris. Face à cette situation, nombreux s’adonnent aux petits métiers. La situation est très préoccupante et nous en portons la charge avec l’accompagnement de certains lycées privés qui acceptent de payer les frais de dossiers de certains élèves jugés plus vulnérables. »

Connaissant bien le contexte sécuritaire du Sanmatenga, le DPEPS, de concert avec les acteurs déconcentrés du ministère en charge de l’éducation et les partenaires ont pris des initiatives louables au profit de ces EDI. Il nous décrit quelques actions : « La politique mise en place pour permettre à ces élèves de continuer est que tout élève dont son établissement est fermé pour fait d’insécurité a obligatoirement une place dans n’importe quel autre établissement public d’accueil. Aussi, il y a la disponibilité des Espaces Temporaires d’Apprentissages pour prendre en charge ces élèves un temps soit peu, en attendant le retour à la normale. Des partenaires aussi nous accompagnent avec des kits scolaires et de dignités. Cette situation a fragilisé davantage la cantine scolaire. Il y’en a toujours mais vu qu’ils ont tout abandonné et se refugier, la quantité devient insuffisante. »

Pour terminer, le DPEPS du Sanmatenga interpelle tous les acteurs afin de sauver l’éducation des EDI dans sa province : « Je lance un appel à tous les acteurs concernés de savoir raison gardé afin que nous puisions relever ces défis qui nous sont imposés. A l’Etat, je demande qu’il réadapte le plus rapidement possible à la situation actuelle de nos élèves. » Effectivement, il faut agir vite car Nelson Mandela, l’ex-président Sud-Africain n’a jamais cesser de défendre qu’un pays ne peut se développer sans l’éducation de ses fils et filles : « L’éducation est l’arme la plus puissante que l’on puisse utiliser pour changer le monde. », a-il-écrit.

                                          Ayouba OUEDRAOGO KAYAINFO

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