Santé publique au Burkina :Sur les traces d’une solution endogène à Googo

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Le Burkina Faso vit une situation sécuritaire assez préoccupante qui a fait des victimes militaires et civiles notamment des blessés de guerre.  En outre, il y a aussi les victimes liées aux accidents de circulation dans les villes et campagnes. Dans la dynamique des autorités de Transition du Burkina Faso qui est de valoriser des solutions endogènes, base de tout développement durable, KAYAINFO.NET a initié un reportage sur la santé physique des rebouteurs.  Selon les dépositaires de ce secret familial de Googo, ils participent à la prise en charge des blessés de guerre et des accidents de circulation routière au Burkina Faso et dans la sous-région.  Nous vous invitons à découvrir ce reportage qui a été réalisé le 22 octobre 2023 à Googo dans un quartier du village de Kanrtenga, commune de Boussouma dans la province du Sanmatenga, région du Centre Nord.

Un bon temps augure la cité du cuir et du Koura-Koura ce 22 octobre 2023. Il est 07H00 ! Les rayons du soleil transcendent sur les fleurs et les êtres de cette localité du Burkina Faso, meurtrie par des accidents de circulation et de l’insécurité qui sévissent dans la région du Centre – Nord. Nous enfourchons notre engin à deux roues en direction de Googo, le quartier qui abrite les rebouteurs qui font un travail de soins gigantesques au bonheur des populations. Googo est un quartier de Kanrtenga, un village de la commune rurale de Boussouma, province du Sanmatenga dans la région du Centre – Nord. Il est situé à 6 Km de la ville de Kaya côté Sud – Est sur la rive droite à 500 m de la RN 15 en partance pour Boulsa. Nous bifurquons tout juste après l’abattoir frigorifique de Kaya, toujours fermé depuis son inauguration en 2021. Selon des sources dignes de foi « Cette fameuse RN15, reliant Kaya – Boulsa est goudronnée il y a plusieurs année… » Mais la réalité est toute autre quand on l’emprunte. Après une vingtaine de minutes de circulation, nous l’abandonnons et nous descendons du côté droit en direction de Googo. Puisque notre objectif est d’aller à la découverte du travail des rebouteurs dont leur réputation traverse les frontières du Burkina. « Un secret de famille », dit-on. Ces rebouteurs le gardent  soigneusement comme un trésor.

Une vue partielle du patient venu du Sénégal

Nous empruntons la piste qui nous dirige dans ce quartier du village de Kanrtenga. Cette piste crée des cauchemars aux usagers surtout aux patients accidentés. Ils l’ont surnommé : « Piste de rivière ». De bas – fond à rivières et de secousses souvent très violentes, nous arrivons enfin à destination malgré l’état défectueux de la piste. Il est déjà 07H 55mn à Googo. Les rebouteurs sont déjà en activités. Nous sommes invités à patienter jusqu’au dernier patient. Sur place, une trentaine de patients attendent. « Les patients arrivent comme ça jusqu’à 11h», nous souffle un membre de la famille. Sous un arbre à ombre de grillage, nous nous contentons d’observer les scènes car les consignes sont très claires : « Vous vous asseyez ici jusqu’à ce que nous finissons. Pas de photos ni vidéos. », Nous ordonne l’un d’entre eux. On entend des cris par – ci par – là, de l’autre côté des luttes. Nous sommes inondés d’émotions et de douleurs atroces. « Vous n’avez jamais vu ça ? » (Rire), nous questionne Hamidou Ouédraogo, l’un des rebouteurs de la famille. C’est un sexagénaire, d’une taille moyenne, toujours le chapeau sur la tête. Il est l’un de nos rebouteurs sur ces lieux.

Hamidou Ouédraogo, un rebouteur de la famille

A côté de ce dernier, un vieux nous invite à les rejoindre : « Venez ! Nous vous écoutons maintenant. » Mahama Ouédraogo, c’est de lui qu’il s’agit est un vieil homme de la troisième génération. Il est le doyen des rebouteurs. Après nous avoir écoutés, pendant que des patients continuent d’arriver sur les lieux, il nous dirige vers des patients dont certains acceptent répondre à notre micro. Mais, nous débutons notre entretien avec un accompagnateur, Idrissa Ouédraogo, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est un homme de la quarantaine bien sonné. Il est venu avec son frère accidenté. Selon lui, son frère a eu une fracture suite à un incident sur la circulation routière.  Il nous confie qu’il est là avec son frère il y a de cela 26 jours.  Idrissa est témoin de la qualité des soins lorsqu’il laisse entendre :   « Je suis convaincu que d’ici là mon frère marchera et nous retournerons à la maison. » et d’ajouter en confidence que le traitement est gratuit, mais, il y a un sérieux problème de site d’accueil pour les malades.

Ainsi, nous terminons notre entretien lorsqu’il lance cet appel aux autorités en charge de la santé du Burkina à prendre leurs responsabilités : « Cette famille de rebouteurs est une solution endogène dans le domaine de la santé physique qu’il faut accompagner en infrastructures d’hospitalisation, mais également en appui financier pour qu’elle continue sa mission pour le bonheur des populations à Googo.» Il nous laisse avec  son frère accidenté Hamado Ouédraogo. Commerçant de son Etat, il s’est fracturé la jambe droite dans la circulation, lors d’un virage au secteur 6 de la ville de Kaya. Le nombre d’accidents ne cesse de grimper chaque année selon les statistiques de l’Institut national des statistiques et de la démographie (INSD-BURKINA FASO 2023) qui indique que  dans la région du Centre – Nord, on enregistre 369 accidents en 2017, 436 en 2018, 410 en 2019 et 227 pour la ville de Kaya en 2022.  Pour plus d’information cliquez sur ce lien pour lire le reportage de KayaInfo.net sur la sécurité routière : https://kayainfo.net/securite-routiere-kaya-en-quete-de-feux-tricolores/

Découvrir le travail du mystère de Googo

«Oui ça va bien (ndlr : sourire) Je suis là il y a 3 jours de cela. Ici je suis confortable. Je me sens mieux depuis mon arrivée ici à Googo. J’ai reçu des soins de ces rebouteurs. », Répond Hamado lorsque nous lui posons la question pour savoir l’état de sa santé.  Et de préciser : «  Chaque matin, ils viennent consulter ma jambe et m’encourage.» Pour lui, c’est une belle occasion de témoigner l’efficacité des soins à travers notre média KayaInfo.net. Selon notre patient, les rebouteurs font un excellent travail de soins traditionnels à Googo. Ainsi, Hamado a souligné que les centres de rééducation moderne et les hôpitaux sont chers et le traitement prend plus de temps, contrairement chez les rebouteurs de Googo. Ici le traitement est basé sur les soins traditionnels (ndlr : les mains, le beurre de Karité et une potion en poudre ou en feuilles). Aussi, peu importe la nature et la gravité de la fracture, c’est « seulement une poule qu’ils demandent en retour après la guérison. » nous souffle-t-il. Notre interlocuteur formule des prières pour que l’État et les bonnes volontés puissent venir en aide à ce centre de soins traditionnel qui sauve des milliers de vie par an à Googo (ndlr : la route, des salles d’hospitalisation et de vivres) puisque les rebouteurs n’ont plus le temps de vaquer à d’autres occupations.

Hamado Ouédraogo, patient du secteur 6 de Kaya

Nous retrouvons un autre patient  qui est assis non loin de là. Il s’appelle Boureima Sawadogo. Il nous explique comment il est arrivé à Googo : « J’ai eu une fracture au niveau de mon dos sur les sites d’orpaillage au Sénégal. » D’origine burkinabè, Boureima vit au Sénégal avec ses parents. Selon ce dernier, il suit le traitement des rebouteurs de Googo depuis un (1) mois et 21 jours. A vu d’œil, Boureima se sent mieux. « Ma santé s’améliore chaque jour. Je me sens de plus en plus mieux.», se réjouit-il. Ce jeune de 26 ans était sur les sites d’orpaillage artisanal dans la région du Sud-Est du Sénégal. Il nous fait savoir que son accident est intervenu suite à un éboulement d’une mine d’or artisanale. Par ailleurs, il invite le gouvernement de transition du Burkina à faire recours à cette famille qui pourrait aider à soigner les blessés des attaques terroristes, surtout ceux qui ont subi des fractures ou des emboitements.

Aicha Bagagna, patiente : « Je suis très satisfaite de mon état  santé… »

Dans la salle voisine se trouve Aïcha Bagagna, une jeune fille de vingt ans qui s’est fracturée la jambe gauche et le bras gauche. Elle est arrivée depuis quinze jours suite à un accident de circulation. Elle est originaire de Bouroum, commune rurale située dans la province du Namentenga. Elle est une déplacée interne résidente à Kaya, une commune qui accueille des milliers de personnes déplacées internes dans cette région du Centre – Nord. C’est une commune dont les ressortissants se sont réfugiés dans la ville de Kaya après plusieurs attaques dans la zone. «  J’ai refusé mon âne et la moto m’a fracturée la jambe et le bras », nous explique dame Aïcha dans la plaisanterie (ndlr : rire). Elle nous explique comment elle est venue dans ce village de rebouteurs : « Quand j’ai eu l’accident quelqu’un nous a indiqué ici et nous a dit que le traitement des rebouteurs est efficace. Il nous a dit qu’après un mois de traitement, nous allons témoigner de la qualité du traitement.»

Selon elle, notre reportage est donc une opportunité pour témoigner cela après 15 jours de traitement. « Je suis très satisfaite de mon état de santé car à seulement 15 jours, moi qui ne pouvais pas me tenir debout, arrive aujourd’hui à aller au-delà des toilettes tout seul. » Aussi, profite-elle, pour exprimer ses vifs remerciements, sa gratitude à cette famille de rebouteurs de Googo et de prier pour qu’elle puisse avoir les moyens nécessaires afin de poursuivre le traitement des accidentés. Selon elle, les bonnes volontés et l’État ne doivent plus hésiter à venir au secours de ses volontaires pour la défense de la patrie (VDP) en santé physique carles rebouteurs ont d’énormes besoins. Parmi lesquels des salles d’hospitalisation, des toilettes modernes, l’adduction d’eau potable, les moyens financiers pour s’occuper de leurs familles. 

La seule et unique latrine pour la famille et pour les patients

Travail de rebouteur, un secret familial

Nous poursuivons notre reportage dans ce centre de soins traditionnels de Googo. Pour en savoir davantage sur les types de patients qui y fréquentent, nous interrogeons l’un des doyens de la famille, Mahama Ouédraogo qui répond sans détour  dans notre micro : «Nous recevons des députés, des hauts – commissaires, des préfets, des fonctionnaires, des élèves, des joueurs et bien d’autres personnalités qui viennent ici pour se soigner. Il y en a qui viennent constater ce que nous faisons ici. » Cependant, le vieux Mahama regrette que  beaucoup font de belles promesses mais, il n’y a rien de concrets pour accompagner le centre pour le moment.  Il nous confie que le traitement des rebouteurs est un héritage de leur ancêtre, de leurs aïeux. Ces soins qui se font sur la base de la  tradition sont considérés comme un pouvoir sacré de la famille  Ouédraogo à Googo. Dans le récit du vieux rebouteur, il ressort que l’ancêtre en question qui possédait le secret, soignait gratuitement les malades et en contrepartie il récupérait une poule en guise de frais de soins. A écouter le rebouteur Mahama, l’ancêtre a juré que quiconque transgresse cette sentence de la famille, il ne pourra plus jamais rebouter un malade accidenté.  « C’est un secret familial et je ne peux pas vous en dire plus.» nous lance-t-il et de nous préciser que la seule activité de cette famille est le reboutage.

Nous interrogeons une autre malade (ndlr : elle a requis l’anonymat) qui a eu un déboitement de son genou droit par suite d’un accident de circulation. Cette malade qui a requis l’anonymat est une déplacée interne originaire de la commune de Barsalgho, une commune rurale de la province du Sanmatenga située à 45 Km au Nord de Kaya. Elle dit entendre parler de la qualité des soins de cette famille de rebouteurs depuis chez elle. Notre interlocutrice, tout comme ses prédécesseurs confirme la place qu’occupent les soins traditionnels dans la santé publique au Burkina Faso. Elle emboite les mêmes pas que ses prédécesseurs en appelant les bonnes volontés à vraiment agir vite pour non seulement désenclaver le village mais aussi, doter cette famille de rebouteur une infrastructure adaptée aux soins traditionnels.

Dans le soucide préserver l’héritage ancestrale, cette famille de rebouteurs a décidé de ne pas transgresser la décision mystique ; ne prendre comme frais de soins une poule par patient (ndlr : selon l’ancêtre dépositaire). Nous comprenons aisément les difficultés que rencontrent ces rebouteurs de Googo.  Pour en savoir davantage sur les difficultés, nous nous approchons de Hamidou Ouédraogo, qui lâche ces mots : « Nous sommes confrontés à plusieurs difficultés ici. D’abord les salles d’hospitalisation ne sont pas en nombre suffisant et ne sont pas adaptés. Ensuite, vous avez sans doute constaté que nous avons une seule latrine et une seule fontaine d’eau pour tout le quartier. Enfin, il n’y a pas de route, sans oublier le problème de prise en charge alimentaire pour nos patients et nos familles.»  Pour remédier à cette situation, les soigneurs sont obligés de renvoyer la plus grande partie de leurs patients chez eux pour qu’ils reviennent chaque matin jusqu’à la guérison finale. Et cela n’est pas sans conséquences puisque ce mouvement créé des complications chez bon nombre de patients qui supportent difficilement les secousses de la route.

Mahama Ouédraogo, doyen de la famille des rebouteurs de Googo

Aider cette famille à conserver son héritage, un bien public

En effet, au regard du nombre accru de patients qui fréquentent cette famille, toutes les bonnes volontés en commun accord sont interpelés à prendre de bonnes décisions pour l’aider surtout sur le plan alimentaire. Car ces soigneurs n’ont plus assez de temps pour vaquer à d’autres occupations. Une autre raison plus profonde : « Également comme nous ne sommes pas autorisés à réclamer quelque chose en retour,  les gens en profitent trop derrière nos dos.», justifie le vieux rebouteur Mahama Ouédraogo. Il faut préciser que même si ces rebouteurs ne réclament pas de frais de soins, des bonnes volontés arrivent souvent à faire des dons en espèce ou en nature. « Cela signifie qu’après la guérison si un patient décide de venir remercier les rebouteurs, il peut volontairement le faire. » En tout cas le souhait ardent de ces rebouteurs et patients que nous avons interrogés, c’est de voir dans les jours et mois à venir des réponses concrètes qui leur permettent d’aménager un lieu sûr avec une grande capacité d’accueil de patients accidentés. Il invite donc toutes les bonnes volontés à les aider avec des locaux pour héberger les patients. 

Aussi, la route est pleine d’embûches selon Issa Ouédraogo, (ndlr : un autre rebouteur de la famille)  car elle est devenue un fardeau pour les patients qui font la navette « plusieurs patients accidentés sont revenus au point de départ parce qu’ils sont décédés suite aux secousses de la voie. », ajoute-t-il. À la question de savoir si les rebouteurs collaborent avec les agents de santé, il répond : «Oui, nous collaborons avec les agents de la santé qui sont dans les centres de santé, les hôpitaux.» Pour lui, lorsqu’il y a une plaie au niveau de la partie fracturée ce sont les agents de santé qui soignent avant que l’intéressé ne vienne chez eux. Au niveau des centres  de santé, on leur recommande de passer des examens radiologiques afin de s’assurer du niveau réel de la fracture.  Pour Hamado Ouédraogo : « Si tu as une fracture et que tu viens ici sans les papiers des examens médicaux, on te renvoie pour que tu ailles faire ces examens avant de revenir, bien sûr avec l’accord des médecins.»

Dans le domaine de la santé publique, la contribution de cette famille de rebouteurs est incontestable. Pour s’en rendre compte, il suffit d’écouter le témoignage des patients. Également, dans la guerre contre l’hydre terroriste au Burkina Faso, ces rebouteurs peuvent être une solution parmi tant d’autres à soigner les fractures graves des vaillants combattants sur le terrain.

Ayouba OUEDRAOGO KAYAINFO

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